“Djellaba-basket” sur LCP : “Pour mieux combattre le salafisme, il faut sortir lesjeunes de la mis re sociale”

Le documentaire de Philippe Pujol, diffusé ce jeudi 10 juin, montre comment les jeunes des quartiers nord de Marseille pratiquent l'islam en le mixant aux cultures urbaines. Et l'éducation, comme le rappelle le sociologue et imam Ludovic-Mohamed Zahed, reste fondamentale pour lutter contre tous les extrémismes.

Pour le sociologue et imam ouvertement homosexuel Ludovic-Mohamed Zahed, l'éducation et la culture sont les principaux remparts contre l'extrémisme religieux.   La meilleure fa on de combattre le salafisme, c'est de sortir les jeunes de la misère sociale et intellectuelle.   Un thème qu'il aborde aussi dans le documentaire Djellaba-basket, de Philippe Pujol diffus  ce soir sur LCP, Le film montre comment les jeunes des quartiers nord de Marseille pratiquent l'islam en le mixant à des éléments caractéristiques de la culture urbaine. Entretien.

Comment expliquez-vous l'intérêt des jeunes des quartiers populaires pour l'islam ?

La principale explication est à trouver dans la relégation sociale qu'ils su-bissent. Ils sont parqués dans des ghettos, éloignés des services publics et confrontés au décrochage scolaire, au chômage et à la précarité. À cela s'ajoutent des tensions et des affrontements autour d'enjeux économiques et politiques. Dans ces conditions, le choix est soit de tenir le mur du quartier, soit de rejoindre la mosquée. Mais certains tentent d'opérer une synthèse des deux : à la fois la djellaba et les baskets. Dans leur quête spirituelle, ils font ce qu'ils peuvent avec le peu qu'il leur reste. Sauf que la tentation du repli identitaire n'est jamais loin. Cela étant, ce qui se passe dans ces quartiers n'est pas si différent de ce que l'on observe dans le reste de la communauté nationale.

Cet islam hybride est-il le signe d'une adaptation du message religieux aux réalités de notre époque ?

Que le religieux s'adapte au contexte est notre vœu à tous. Sauf qu'ici le religieux n'est pas le problème. La question, c'est la représentation que ces jeunes s'en font. Celle-ci est basée sur une question fondamentale : comment arrive-t-on à construire son identité quand on est doublement discriminé ? Ils arrivent à la religion parce qu'ils se sentent abandonnés par la République et par la société. La réponse pour toutes celles et ceux qui s'estiment victimes d'islamophobie et de racisme est de se forger une identité de combat, une spiritualité de contestation. Dès lors, le message religieux, au lieu de s'adapter au contexte, s'adapte plutôt à nos névroses et conduit malheureusement à la haine de l'autre.

“Je ne vois a priori aucun danger à tenter de se frayer un chemin dans la vie en s'appuyant sur la spiritualité.”

Quels sont les risques d'une telle démarche ?

En général, les gens se saisissent de ce qu'ils ont ou de ce qu'il leur reste pour pouvoir mener à bien leur existence. Je ne vois a priori aucun danger à tenter de se frayer un chemin dans la vie en s'appuyant sur la spiritualité. Il me semble d'ailleurs préférable de voir certains de ces jeunes s'enfermer pour prier des journées entières. Car, s'ils ne le faisaient pas, ils seraient dehors à traîner comme les autres, avec tout ce que cela comporte. Donc, si vous retirez l'islam de l'équation, ce ne sera pas forcément mieux. Ce sera peut-être pire.

Si ces jeunes gens arrivent à trouver une forme d'apaisement et de prise de dis-tance avec la violence qu'ils se prennent depuis plusieurs générations, ce n'est pas plus mal. Évidemment, il y a toujours des personnes fragiles, tentées par la violence et par les discours salafistes. Il faut donc prendre le problème à la racine. Le facteur déterminant dans cette affaire, c'est comment on les sort de la misère.

Certains se battent entre leur pratique de l'islam et leur identité sexuelle : l'homosexualité y est-elle encore taboue ?

Les choses évoluent bien plus vite qu'on ne l'imagine. La meilleure illustration en est la multiplication d'associations de personnes homosexuelles musulmanes en France. Cela a permis à beaucoup de jeunes de s'émanciper au sein de leurs familles, dans les quartiers et dans la société. Bien sûr, il existe encore des violences inadmissibles et des meurtres abjects à l'encontre des LGBTI au nom de la religion.

Mais il s'agit d'un sujet dont on peut désormais parler. Ce qui n'était pas le cas il y a encore une dizaine d'années. D'ailleurs, le besoin d'émancipation de ces personnes est une question de survie. Le gros bémol, là encore, est que ceux qui parviennent à assumer leur identité sexuelle sont souvent ceux qui ont l'avantage d'une aisance matérielle ou intellectuelle. Les jeunes musulmans qui souffrent le plus de l'homophobie au sein de leur communauté sont ceux qui sont le plus victimes de la misère sociale.

« La réponse pour toutes celles et ceux qui s'estiment victimes d'islamophobie et de racisme est de se forger une identité de combat, une spiritualité de contestation », Ludovic-Mohamed Zahed, sociologue et imam interrogé dans le documentaire Djellaba-basket, de Philippe Pujol. Seconde Vague productions

par Raoul Mbog

Source : Télérama

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